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Intégration professionnelle d’immigrants dans un contexte de rareté

Shape 9 décembre 2019

Cet article est rendu possible grâce à la contribution de Synchronex, le réseau des centres collégiaux de transfert (le Réseau).

 

Image fournie par l’IRIPI.

Article d'Habib El-Hage, directeur de l’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI).

La recherche au service d’une société ouverte sur le monde  

L’organisation de l’immigration a toujours été reliée aux enjeux démographiques et économiques. Ainsi l’admission des immigrants au Québec peut compenser en partie la faible natalité. Du point de vue économique, dans un contexte de rareté de main-d’œuvre de plus en plus prononcé, l’immigration peut contribuer positivement au nombre de personnes en âge de travailler. En effet, les prévisions d’Emploi-Québec datant de 2016 sur l’évolution future du marché du travail font état d’un nombre d’emplois à pourvoir s’élevant, pour la période 2017-2026, à 1 428 200i. Afin de combler ces besoins, le Québec pourra compter sur plusieurs sources de main-d’œuvre. Parmi ces dernières, Emploi-Québec estime que la population immigrante représentera 22 % de l’offre de main-d’œuvre au cours de la période 2017-2026ii. Ces personnes s’ajouteront aux immigrants déjà en emploi. À l’heure actuelle, les immigrants représentent environ 16,9 % des personnes en emploiiii. Ces données indiquent non seulement combien l’économie québécoise devra compter sur un apport important de travailleurs issus de l’immigration pour faire face à ses besoins de main-d’œuvre, mais aussi l’importance que devrait représenter dans le futur la proportion d’emplois qui sera occupée par les personnes immigrantes.

« [...] l’apport de l’immigration au dynamisme économique du Québec et à la société québécoise est conditionnel à une bonne intégration des immigrants au marché du travail et à la société »
- Habib El-Hage

Cependant, l’apport de l’immigration au dynamisme économique du Québec et à la société québécoise est conditionnel à une bonne intégration des immigrants au marché du travailiv et à la société. De ce point de vue, l’ensemble des données soulève plusieurs défis et interrogations. 

Situation des personnes immigrantes sur le marché de travail du Québec : inégalités et obstacles

Depuis 2014, l’économie québécoise présente des signes d’une reprise économique certaine. C’est ainsi qu’en 2017 le taux de chômage a atteint 6,1 % pour l’ensemble de la population, ce qui est décrit par le directeur de l’Institut de la statistique du Québec comme un « plancher historique en 41 ans »v. Bien que la situation générale en emploi des immigrants connaisse une certaine amélioration, avec un taux de chômage qui est passé de 10,6 % en 2007 à 8,7 % en 2017, l’écart entre le taux de chômage des immigrants et celui de l’ensemble de la population québécoise n’a diminué que relativement, puisqu’il est passé de 3,3% en 2007 à 10,6 en 2017vi et à 4,9 % en juin 2019vii.

Toutefois, c’est au chapitre de la qualité de l’emploi que les différences se font davantage sentir. Ainsi, le taux de surqualification des personnes immigrantes était en 2014 supérieur de près de 15 % à celui de la population née au Québec (45 % contre 32 % pour l’année 2014)viii. Conséquemment, le taux de revenu faible chez les personnes immigrantes est également plus élevé que celui observé au sein de la population native (21 % contre 14 % en 2006)ix. Ceci a pour conséquence que les ménages, dont le soutien principal est immigrant, sont plus à risque de connaître des privations matérielles de divers ordresx.

Image fournie par l’IRIPI.

En outre, la population immigrante n’est pas une population homogène du point de vue des problématiques liées à l’intégration. En premier lieu, les difficultés sont concentrées au début de l’établissement. Ainsi, le taux de chômage diminue avec la durée de la période de résidence au Québec. En 2015, le taux de chômage des immigrants très récents (moins de 5 ans de résidence au Québec) s’élevait à 18,0 % alors qu’il était de 11,4 % pour les immigrants récents (entre 5 et 10 ans de résidence) et diminue à 8,2 % chez les immigrants de longue date (plus de 10 ans de résidence)xi. Ces données montrent que si la situation globale des personnes immigrantes s’améliore avec le temps, il existe néanmoins un besoin important de réduire les nombreux obstacles qui se posent en début d’établissement afin de faciliter une intégration rapide.

En second lieu, certaines catégories d’immigrants connaissent des difficultés accrues. Ainsi, les personnes réfugiées sont un groupe particulièrement à risque qui connaît des problématiques d’accès au logement, au travail ainsi qu’une difficulté d’accès à un réseau social, notamment en raison d’une connaissance moindre du français ou de l’anglais.

En troisième lieu, les problématiques ne sont pas équivalentes suivant les sexes ; les femmes connaissant plus de difficultés que les hommes. Si l’on considère les taux d’emploi de 2015, non seulement les femmes immigrantes occupent moins fréquemment un emploi que les hommes immigrants (54,1 % contre 65 %)xii, mais cet écart est nettement supérieur à celui que l’on observe chez les non-immigrants (57 % contre 63 %)xiii.

Enfin, comme l’ont démontré plusieurs recherches, l’origine nationale des immigrants est un facteur important qui joue sur l’accès à l’emploixiv.

Par ailleurs, l’intégration socioprofessionnelle est plus difficile pour les personnes des minorités visibles, y compris pour celles qui sont nées au Québecxv. Ainsi, en 2011, on observait que le taux de chômage des personnes appartenant à une minorité visible était systématiquement supérieur à celui des personnes n’ayant pas ce statutxvi. Notons également que certains travaux montrent que l’appartenance à une minorité racisée est un facteur qui entrave l’intégration en emploi, notamment en raison de phénomènes de discriminationxvii.

De nombreuses recherches font état des obstacles à l’intégration socioéconomique des immigrants. Il existe aujourd’hui un consensus sur ces derniers : difficultés de reconnaissance des diplômes, des qualifications et de l’expérience professionnelle acquise à l’étranger de la part des différents acteurs du marché du travail (employeurs, ordres professionnels, établissements d’enseignement) ; pratiques de gestion des ressources humaines dans les milieux de travail, racisme et discriminationxviii; manque de réseaux sociaux et difficultés d’accès à l’informationxix.

Ces données révèlent que l’intégration des immigrants au marché du travail demeure une problématique majeure et que les obstacles à une telle intégration nuisent à une contribution optimale et à la pleine participation des personnes immigrantes au marché du travail et à la société québécoise. Ce constat démontre la nécessité de construire, en partenariat avec les acteurs pertinents, des solutions novatrices permettant une meilleure intégration des personnes immigrantes en prenant en compte les obstacles susmentionnés. 

L’intégration sociale et professionnelle des immigrants : du politique au relationnel

Plusieurs enjeux actuels peuvent jouer en faveur ou en défaveur de l’intégration des personnes immigrantes. Notons, à titre d’exemple, la sélection et l’adéquation aux besoins du marché du travail, la qualité de l’apprentissage de la langue française pour allophones (la francisation), la surqualification et le chômage. Cependant, ces enjeux sont d’abord ou principalement abordés dans leur dimension économique, sans qu’apparaissent toujours clairement leurs dimensions sociales et culturelles. On pourrait croire qu’un appariement entre les compétences d’un candidat à un emploi avec celles requises pour un poste suffirait pour assurer l’intégration en emploi et en société.

Les recherches de l’IRIPI confirment que l’intégration en emploi des personnes immigrantes commence par une volonté et un leadership politique. Cette volonté se traduit par une vision, un discours et une stratégie efficace invitant l’ensemble des acteurs de la société à contribuer à l’édification de différentes composantes nécessaires à l’élimination des barrières économiques, linguistiques ou sociales. L’intégration sociale et professionnelle est également constituée d’un processus relationnel social complexe, qui exige un accès efficace à l’information, dans lequel la reconnaissance et le transfert de compétences ne peuvent se faire que si les différents acteurs qui composent l’écosystème du marché du travail sont en mesure de partager des points de repère communs.

« Les enjeux de la surqualification et du chômage ne peuvent se résumer à un arrimage économique. Il est nécessaire de prendre en compte les dimensions psychosociales et interculturelles. »
- Habib El-Hage

Les enjeux de la surqualification et du chômage ne peuvent se résumer à un arrimage économique. Il est nécessaire de prendre en compte les dimensions psychosociales et interculturelles. Les barrières à l’intégration découlent souvent de la méconnaissance ou des difficultés de lisibilité des compétences par les différents acteurs du marché du travail. Dans ce sens, l’IRIPI a déjà souligné à maintes reprisesxx l’importance d’accompagner et de soutenir les employeurs dans leurs démarches d’appropriation sociale et interculturelle de l’immigration. 

La reconnaissance des compétences des travailleurs immigrants obtenues à l’étranger

L’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes constitue un défi important pour le Québec, en particulier dans le contexte de « guerre de talents » lié à la mondialisation des marchés, au développement technologique, au vieillissement démographique et à la pénurie de main-d’œuvre. Il est ainsi exprimé dans des documents gouvernementauxxxi la nécessité d’assurer un meilleur arrimage entre les compétences des nouveaux arrivants et les besoins des entreprises afin de « faciliter l’accès à des emplois à la hauteur des compétences des personnes accueillies au Québec » (p. 24). Or, l’accès aux bassins de recrutement, évoqué dans le document de consultation, ne garantit pas le succès de cet arrimage, car pour combler leurs besoins en matière de main-d’œuvre, les entreprises doivent être en mesure de reconnaître les différences entre les diplômes, les acquis et compétences des candidats, qui varient d’un pays à l’autre.

De nombreuses recherches, dont certaines menées par l’IRIPI, démontrent la complexité de ce processus de reconnaissance des compétences et les difficultés rencontrées par les employeurs, en particulier les PMExxii, car l’adéquationxxiii entre un individu et son emploi s’opère selon une double équation : une adéquation entre personne et poste de travail et celle entre personne et l’organisationxxiv. C’est autour de ces deux registres que les employeurs éprouvent le plus de difficulté lors du recrutement et de l’intégration en emploi des travailleurs immigrants. Dans cette perspective, différents outils et méthodes de reconnaissance de compétences sont actuellement développées et mis en œuvre par divers acteurs du marché du travail au Québec et ailleurs au Canada (RAC, RC, outils de reconnaissance et transfert des compétences par les conseillers en emploi et les immigrants eux-mêmes) peuvent s’avérer bénéfiques.

Image fournie par l’IRIPI.

Innovation pédagogique, apprentissage du français et nouvelles mesures en gestion de la diversité dans les entreprises

À l’image de la société québécoise, la diversité ethnoculturelle est présente dans les entreprises. Si cette diversité est une source potentielle de richesse, elle ne va pas sans un certain nombre de défis qui doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des gestionnairesxxv. Dans une récente recherche, l’IRIPI a développé, en partenariat avec l’entreprise Pairconnexxxvi, un outil permettant aux employeurs de mesurer le savoir-être d’un futur employé. Pour les personnes immigrantes intégrées en entreprise qui occupent des postes de gestionnaire (?) les compétences rédactionnelles et la maîtrise de la langue française constituent souvent une barrière menant à un effet de plafond de verrexxvii. Une étude récente de l’IRIPIxxviii a souligné l’importance de la mise en œuvre, notamment en entreprise, d’une offre de francisation compatible avec les exigences linguistiques des postes occupés par les personnes immigrantes tout en prenant en compte leur évolution au sein de l’organisation. Dans une visée plus macro, il est suggéré dans cette étude de créer un guichet unique dans la région métropolitaine de Montréal afin d’améliorer l’accès à l’information en matière de francisation et une meilleure concertation dans l’offre de ces services.

Au niveau de la gestion de la diversité ethnoculturelle, l’incertitude associée à l’évaluation du savoir-être en contexte de diversité est généralement associée, par les employeurs, à un « risque de recrutement » supplémentairexxix. Les coûts associés à la mise en place d’un nouveau processus de dotation peuvent dissuader les employeurs d’engager des candidats immigrantsxxx. Cette préférence peut avoir des effets négatifs sur l’image de l’entreprise et entraîner pour elle la perte d’avantages concurrentiels. À l’opposé, les entreprises, ayant opté pour le développement des compétences interculturelles des équipes, améliorent l’efficacité et la performance de l’entreprise en favorisant la collaboration dans les équipes multiethniques. Il est question ici de la volonté managériale des décideurs en entreprise. Enfin, les travaux de recherche de l’IRIPI en gestion de la diversité ethnoculturelle montrent que la mise en œuvre d’une société inclusive n’est pas un processus unidirectionnel, mais implique toute la société. Plus précisément, plus les entreprises investissent dans l’adaptation des pratiques en vue d’assurer une intégration des immigrants à leur nouvelle réalité, plus la performance et la productivité au travail tendent à s’améliorer et à avoir des impacts englobant les niveaux macro et micro. L’intégration des personnes immigrantes n’est pas seulement un processus économique, mais aussi un processus social qui dépasse les besoins du marché de travail. Dans la mise en place de ces mesures d’accueil, d’intégration et de rétention, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), les municipalités, les organismes communautaires, les cégeps et les centres de recherche peuvent jouer un rôle significatif en préparant et en outillant les entreprises à mieux intégrer les travailleurs immigrants. 

Conclusion sur l'intégration des nouveaux arrivants au Québec

L’immigration a toujours été, et restera pour plusieurs décennies encore, un enjeu majeur au carrefour de plusieurs réalités démographiques, économiques, linguistiques et sociales. Les efforts doivent se multiplier afin d’outiller les décideurs, les accompagnateurs et les plus concernés, soit les personnes nouvellement arrivées au Québec, à atteindre des objectifs d’installation, d’intégration et de rétention. Pour y arriver, des efforts particuliers et constants doivent viser les décideurs afin qu’ils aient toutes les possibilités d’aide à l’intégration. De la même volonté, des efforts doivent cibler les nouveaux arrivants à bien connaître la société d’accueil avec tout le potentiel et toute la complexité de l’intégration, et ce, afin de susciter leur intérêt à s’impliquer et à s’engager sur les plans social, économique, culturel et politique. Pour cela, la recherche est le vecteur par excellence qui contribuera à l’édification de cette société. Les différentes entreprises et les organisations doivent avoir accès à la connaissance de pointe, à l’information et aux outils afin de contribuer à faire du Québec un État moderne et ouvert sur le monde.

 

Habib El-Hage, directeur de l’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI)

 

À PROPOS DE L’INSTITUT DE RECHERCHE SUR L’INTÉGRATION PROFESSIONNELLE DES IMMIGRANTS (IRIPI)

L’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI) est le centre collégial de transfert de technologie en pratiques sociales novatrices du Collège de Maisonneuve. Il a pour mission de contribuer de façon significative à l’effort collectif face au défi de l’intégration des personnes immigrantes au marché du travail et à la société québécoise.

Son mandat spécifique est de répondre aux besoins ciblés par les milieux d’accueil des immigrants, c’est-à-dire les organisations en lien avec l’intégration professionnelle (organismes publics, parapublics ou communautaires, entreprises, institutions scolaires, ordres professionnels, etc.).

L’IRIPI est reconnu pour son expertise de conception et de conduite, en collaboration avec des organisations partenaires, de projets de recherche appliquée, de soutien à l’innovation et de transfert de connaissances.

Depuis sa création, plus d’une centaine de recherche appliquée, accompagnement et formation ont été déployés par l’IRIPI, les retombées de ses actions d’innovation et de transfert de connaissance dans la communauté collégiale et les organisations sont grandement appréciées.

L’IRIPI prévoit développer des créneaux d’innovation de pointe dans les différents domaines d’intervention notamment en gestion de la diversité en entreprise, les loisirs et le vivre ensemble, l’entrepreneuriat au féminin, Art et vivre ensemble. Dans ce sens, l’IRIPI prévoit développer des projets de soutien et des recherches en collaboration avec des clients et des partenaires, notamment le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’intégration, la Ville de Montréal, le Ministère de l’Enseignement et de l’Éducation supérieur et le MTESS. D’autres CCTT seront mis à contribution notamment le CRISPESH, ExpériSens de L’ITHQ et Écobes.

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L’IRIPI fait partie du regroupement des 59 centres collégiaux de transfert affiliés aux cégeps et collèges du Québec ; des centres de recherche et d’innovation qui agissent dans tous les secteurs industriels ainsi que sur des enjeux sociaux allant de la santé à l’éducation en passant par l’agriculture, l’aérospatiale, le maritime, les technologies environnementales, le développement durable, les matériaux de pointe, l’intelligence artificielle, la productique, etc. Déployés à la grandeur du territoire Québec, ces centres travaillent annuellement avec 5 000 clients dans la réalisation de plus de 10 000 projets d’innovation technologique et sociale.

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