Intégrer des pratiques socialement responsables en organisation
Cet article est rendu possible grâce à la contribution de Synchronex, le réseau des centres collégiaux de transfert.
Par Dominique Diouf, Ph. D. Administration des Affaires, chercheur et conseiller en transfert de connaissances, Centre d’étude en responsabilité sociale et écocitoyenneté (CÉRSÉ), Collège de Rosemont
En dépit des progrès réalisés au cours des 10 dernières années, les pratiques de développement durable (DD) des entreprises québécoises restent encore timides pour contribuer à accélérer la transition vers un modèle de développement soutenable. En effet, le taux d’entreprises ayant adopté des pratiques de gestion de DD dans une perspective d’amélioration continue est passé de 13 % en 2009-2010 à 22 % en 2013. Toutefois, ce taux a connu un recul, en passant à 10 % en 2017 (données provenant du ministère de l’Économie et de l’Innovation recueillies auprès de 1 369 entreprises québécoises1). Le Québec devrait donc redoubler d’efforts puisque la stratégie gouvernementale de développement durable (DD) 2015-2020 vise un taux d’adoption de 30 % par les entreprises. Pourtant, il est avéré que les citoyens ont une vision favorable du marché écoresponsable : il est en croissance (pour 81,0% d’entre eux), contribue positivement à l’économie du Québec (78,7%) et génère des emplois (à 76,6 %)2. Ceci est corroboré par une enquête qu’a menée le CÉRSÉ auprès de clients actuels et potentiels d’une PME qui commercialise des produits de nettoyage et d’hygiène corporelle écoresponsables3. Au-delà de ces constats, plusieurs recherches ont démontré que la responsabilité sociale des organisations (RSO) est un levier important pour soutenir l’innovation, stimuler la croissance durable et aider les entreprises à créer un avantage concurrentiel et de la valeur pour toutes les parties prenantes. Cet article permet de mieux comprendre la RSO, d’en appréhender les différents enjeux et surtout de saisir la valeur ajoutée pour les entreprises engagées en faveur du DD. L’auteur de cet article, Dominique Diouf, a une expérience pertinente en recherche, en accompagnement et en transfert de connaissances auprès d’entreprises publiques et privées. Ses domaines d’expertise sont orientés vers la responsabilité sociale, l’innovation durable, les modèles d’affaires inclusifs et le transfert de connaissances. Il dirige l’axe de recherche « Innovation, Responsabilité sociale et Technologie » au sein du Centre d’étude en responsabilité sociale et écocitoyenneté (CÉRSÉ), un centre collégial de transfert de technologie (CCTT) du réseau Synchronex associé au Collège de Rosemont à Montréal.
Qu’est-ce que la responsabilité sociale des organisations ?
« La RSO consiste, pour les organisations, à intégrer les trois dimensions sociale, économique et environnementale du développement durable dans leurs activités et leurs stratégies »
— Dominique Diouf
La RSO est un ensemble de politiques, de pratiques et de programmes qui sont intégrés dans les opérations commerciales, les chaînes d’approvisionnement et les processus de prise de décision au sein d’une organisation, visant à rendre compte de la responsabilité aussi bien de ses actions actuelles et passées que de ses impacts futurs4. La RSO est donc l’application, par les entreprises, du concept de développement durable qui est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs5».
Elle consiste, pour les organisations, à intégrer les trois dimensions sociale, économique et environnementale du DD dans leurs activités et leurs stratégies. Dans la pratique, ces trois dimensions sont mises à l’épreuve autour d’un ensemble d’activités diverses en lien avec l’évaluation, la mesure et la communication des performances de développement durable, la gouvernance, la gestion environnementale, le dialogue avec les parties prenantes, les conditions et les relations de travail, les droits humains, etc.
Quels sont les grands enjeux sociétaux reliés à la responsabilité sociale des organisations ?
Plusieurs évènements récents ont contribué à témoigner de l’ampleur des enjeux économiques, sociétaux et environnementaux cruciaux pour l’avenir de notre société. En effet, les changements climatiques, la crise sanitaire, les crises énergétique et alimentaire, les droits humains, la santé et la sécurité au travail, la reconnaissance du statut des peuples autochtones, la crise financière, etc. représentent autant de défis, mais aussi autant d’opportunités qui sont au cœur de la problématique du DD. De tels défis suscitent une réflexion profonde sur le rôle que les individus et les organisations doivent assumer pour permettre une transition vers un modèle de développement durable de notre économie. À cet effet, la RSO prend tout son sens, et c’est ce vers quoi s’orientent les différents projets initiés par le CÉRSÉ. En effet, à travers des projets de recherche partenariale, les chercheurs du CÉRSÉ identifient des enjeux ou des défis liés à l’entrepreneuriat social, aux innovations sociales, environnementales et technologiques, à la mobilité durable, etc., les transformant ainsi en opportunités de recherche et en connaissances transférables aux organisations partenaires. Le CÉRSÉ mobilise, dans ces projets, différentes approches et pratiques, comme la mise en place de projets pilotes, l’organisation d’ateliers de gestion des parties prenantes, l’animation de laboratoires vivants et le déploiement d’outils méthodologiques innovants etc.
« En effet, les changements climatiques, la crise sanitaire, les crises énergétique et alimentaire, les droits humains, la santé et la sécurité au travail, la reconnaissance du statut des peuples autochtones, la crise financière, etc. représentent autant de défis, mais aussi autant d'opportunités qui sont au cœur de la problématique du DD. »
— Dominique Diouf
Pourquoi est-il important pour les organisations d’intégrer des pratiques socialement responsables?
Si les pressions exercées par les parties prenantes (consommateurs, communautés locales, organisations non gouvernementales [ONG], etc.) ont constitué, au cours des 20 dernières années, des motifs d’engagement en faveur du DD et de la RSO, bon nombre d’organisations, en particulier des PME, tentent de nos jours d’intégrer la RSO dans leurs stratégies, leurs processus d’innovation, voire dans leurs pratiques quotidiennes. La RSO permettrait ainsi aux organisations de mobiliser les affaires comme une force pour contribuer à l’essor du bien-être sociétal et à la préservation de l’environnement. En intégrant la RSO dans leurs stratégies, les organisations cherchent à démontrer leur engagement face à leur double mission, soit la génération de profits et la promotion du bien social.
De façon plus soutenue, l’intégration des pratiques socialement responsables permet aux organisations de :
- S’engager dans un processus de dialogue avec leurs parties prenantes;
- Respecter les exigences juridiques sociales et environnementales;
- Poser des actions concrètes afin de contribuer à promouvoir le bien commun;
- Concevoir et commercialiser des produits et services écoresponsables novateurs;
- Créer de la valeur pour toutes leurs parties prenantes;
- Convaincre des investisseurs responsables, d’attirer les meilleurs talents et de renforcer leur image de marque.
Comment le CÉRSÉ aide-t-il les organisations à intégrer des pratiques socialement responsables ?
Depuis sa création en 2010, le CÉRSÉ a développé une expertise en matière de RSO grâce à des projets de recherche-action et d’accompagnement adaptés aux besoins de ses partenaires et des différents milieux preneurs. Aussi se distingue-t-il par son pragmatisme, sa rapidité d’action et l’accessibilité de son mode d’intervention. Voici quelques exemples de projets en RSO menés par le CÉRSÉ.
Recherche-action
Baleco, une PME commercialisant des produits de nettoyage et d’hygiène corporelle écoresponsables, cherchait à innover pour développer son marché et améliorer sa rentabilité financière tout en restant fidèle à ses valeurs. À travers une recherche-action collaborative, le CÉRSÉ a outillé cette PME en l’aidant à bâtir un plan d’action fondé sur les données probantes provenant d’enquêtes en ligne, d’entrevues, d’une démarche d’ethnographie numérique et de l’analyse de la concurrence.
Accompagnement et transfert de connaissance
Umalia est une PME basée à Laval qui aide les entreprises à exploiter le potentiel de leur engagement en matière de responsabilité sociale pour créer un impact durable sur les enjeux sociétaux et sur leur propre performance. Elle cherche, avec l’expertise du CÉRSÉ, à identifier et déployer une stratégie efficace afin de mieux gérer la complexité accrue qui accompagne sa croissance et de concilier ses valeurs fondamentales avec les objectifs économiques et sociaux de ses partenaires. L’intervention avec Umalia est en cours, mais il est déjà envisagé d’utiliser les résultats d’une recherche du CÉRSÉ sur l’hybridation multiorganisationnelle6 pour accompagner l’entreprise dans son souhait d’adopter un modèle d’affaires plus innovant.
« [Avec le CÉRSÉ] on a vraiment orienté la recherche sur des besoins réels et concrets sur lesquels on pourrait agir et toutes les actions qu'on a prises depuis, en fait, sont vraiment alignées sur quelque chose de très concret et on va pouvoir utiliser ça comme effet de levier pour l'entreprise. »
— Lucie Bourgeois, PDG d’Umalia
Les défis reliés au DD sont immenses et nécessitent souvent une approche multidisciplinaire. Le CÉRSÉ a réalisé quelques collaborations avec d’autres centres de transfert par le passé et certaines sont en cours de développement, par exemple :
- La production de 10 capsules en ligne sur la formation en développement durable pour QuébecInnove, en collaboration avec le Centre initiation à la recherche et au développement durable (CIRADD);
- Une étude exploratoire sur les motivations et freins aux échanges de matières entre entreprises dans une symbiose industrielle, faite en collaboration avec le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI);
- Le développement d’une proposition de service conjointe à Transition énergétique Québec par une quinzaine de centres formant l’Escouade Énergie du réseau des CCTT. Le CÉRSÉ apporte au groupe une expertise dans les approches en innovation sociale et les méthodes qualitatives complémentaires à l’expertise technique des autres centres du groupe, qui sont tous en innovation technologique.
Ces différents projets, et bien d’autres, ont permis au CÉRSÉ de contribuer à apporter de la valeur ajoutée à ses partenaires et aux milieux preneurs : meilleure compréhension des enjeux de DD, l’intégration des pratiques de DD dans leurs stratégies, etc. Ces projets ont eu des retombées importantes pour ces organisations. Ils leur ont permis, entre autres, d’engager des processus favorisant des modèles d’affaires durables, d’expérimenter de nouvelles démarches pouvant contribuer à l’apprentissage collectif et de renforcer leur processus d’innovation.
Conclusion
Il s’avère nécessaire d’internaliser le DD au sein de nos organisations et de les responsabiliser afin de faire face aux résultats mitigés enregistrés dans le domaine de la RSO. Si ce processus d’internalisation doit s’ancrer dans les réalités et la culture organisationnelle de chaque organisation, la collaboration inter-organisationnelle représente quant à elle un processus important qui permet l’essaimage des meilleures pratiques entre les organisations. En outre, la recherche-action, en l’occurrence celle effectuée au sein des CCTT à travers des projets collaboratifs, joue un rôle fondamental. En effet, en plus de contribuer à impulser un changement de pratiques au sein des organisations, ce type de recherche favorise, à travers le transfert et de mobilisation des connaissances, une meilleure appropriation des innovations et des meilleures pratiques en matière de RSO au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.
Photo : Dominique Diouf, Chercheur et conseiller en transfert de connaissances, Centre d’étude en responsabilité sociale et écocitoyenneté (CÉRSÉ). Crédit : CÉRSÉ
À PROPOS DU CÉRSÉ
Le Centre d’étude en responsabilité sociale et écocitoyenneté (CÉRSÉ) est un centre de recherche qui facilite la création d’opportunités d’innovation responsable dans les organisations et la société par des processus accessibles et collaboratifs. Le CÉRSÉ est reconnu comme un accélérateur de transformation sociale. Avec une équipe performante composée d’une vingtaine de personnes aux profils diversifiés (chercheurs, étudiants, stagiaires, enseignants, etc.), le CÉRSÉ est le partenaire de choix des organisations et autres acteurs de la société engagés dans l’innovation responsable ou souhaitant le devenir.
Pour en connaître davantage sur le CÉRSÉ : https://cerse.crosemont.qc.ca/a-propos/
Le CÉRSÉ fait partie du regroupement des 59 centres collégiaux de transfert affiliés aux cégeps et collèges du Québec ; des centres de recherche et d’innovation qui agissent dans tous les secteurs industriels ainsi que sur des enjeux sociaux allant de la santé à l’éducation en passant par l’agriculture, l’aérospatiale, le maritime, les technologies environnementales, le développement durable, les matériaux de pointe, l’intelligence artificielle, la productique, etc. Déployés à la grandeur du territoire Québec, ces centres travaillent annuellement avec 5 000 clients dans la réalisation de plus de 10 000 projets d’innovation technologique et sociale.
Pour en connaître davantage sur Synchronex : https://www.synchronex.ca
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Ministère de l’Économie et de l’Innovation (2017). Sondage sur le développement durable réalisé auprès des entreprises du Québec. Rapport présentant les résultats de 2017.
↩︎ -
Observatoire de la consommation responsable (OCR) (2018). Baromètre de la consommation responsable au Québec. Neuvième édition.
↩︎ -
Diouf, Dominique (2019). Rapport de recherche, subvention d’engagement partenarial du CRSNG-CRSH.
↩︎ -
Business for Social Responsibility. (2008). Business for social responsibility, cité par Petrini, Maira, and Marlei Pozzebon. “Integrating sustainability into business practices: learning from Brazilian firms.” BAR-Brazilian Administration Review 7.4 (2010): 362-378.
↩︎ -
Selon le rapport Brundtland Notre avenir à tous. Le rapport Brundtland, du nom de la présidente de la commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, Mme Gro Harlem Brundtland, a été publié en 1987.
↩︎ -
Corbin-Charland, O., Four, I., Desjardins, F. et France Lavoie (2020). L’hybridation multiorganisationnelle dans les entreprises sociales : modèles et pratiques. Rapport de recherche.
↩︎