Comment ouvrir le processus d'innovation? | Réseau CCTT
Cet article est rendu possible grâce à la contribution de Synchronex, le réseau des centres collégiaux de transfert.
Processus innovant par ici, résultat innovant par là. L'engouement pour ce mot ne fait pas de doute : tout le monde s’entend pour dire qu’il faut innover. Mais, au-delà du buzz, sa définition, sans parler des moyens pour y parvenir, reste floue pour la grande majorité des gens. L’innovation se pose donc à la fois comme une nécessité et comme une énigme. On peut la concevoir tant comme un processus que comme un résultat. Mais pour parler d’innovation comme résultat, il faut qu’elle ait été intégrée et adoptée par les usagers. Quels processus, quels outils et quels leviers favorisent l’émergence d’innovations, qu’elles soient sociales ou technologiques ? Lesquels permettent sa réelle appropriation par le milieu, le client, le bénéficiaire ?
Entretien avec David Guimont, cocoordonnateurs, du Living Lab en innovation ouverte (LLio)
David Guimont agit comme cocoordonnateurs, chercheur et facilitateur au LLio, le centre collégial de transfert en pratiques sociales novatrices du Cégep de Rivière-du-Loup. Actif au LLio depuis 2013, ses créneaux de spécialisation sont principalement les différents vecteurs de l’innovation ouverte (IO) : cocréation, facilitation, écosystème d’innovation, approche Living Lab, etc. À titre de chercheur, il a mené plusieurs projets et publié plusieurs articles concernant l’application de l’innovation ouverte et de la méthode Living Lab, notamment en développement territorial et en développement touristique.
« L'innovation ouverte, c'est notre paradigme et les approches de Design Thinking et Living Lab, ce sont nos principaux outils pour encadrer la cocréation »
- David Guimont
SOUS LE NOUVEAU PARADIGME DE L’INNOVATION OUVERTE ET DE LA COCRÉATION
Depuis quelques décennies, on pourrait remonter jusqu'aux années 70, les processus d’innovation s’ouvrent. Toutefois, ce n’est qu’au début des années 2000 qu’un chercheur américain, Henry Chesbrough, a nommé ce phénomène : l’innovation ouverte. Celle-ci implique l’ouverture des frontières de l’organisation et la collaboration entre les acteurs pour innover plus efficacement. L’innovation ouverte opère un changement de mentalité dans la manière de concevoir la recherche de solution. Elle se défait des réflexes protectionnistes, c’est-à-dire des idées développées « en interne » et mises en œuvre au sein de l’entreprise, sous le sceau du secret industriel ou de fabrication. On ne mise donc plus exclusivement sur les ressources internes d’une organisation pour générer les propositions innovantes. L’organisation qui pratique l’innovation ouverte s’expose plutôt aux sources extérieures : elle va impliquer notamment des clients, des usagers, des fournisseurs et des chercheurs dans sa réflexion. Il s’agit donc de cocréation des innovations dans un processus collaboratif entre l’organisation et différentes parties prenantes, dont les usagers. Ainsi, l’innovation ouverte postule qu’il est plus efficace et pertinent de partager et de diffuser les enjeux rencontrés pour générer un maximum d’idées innovantes provenant des experts et des non-experts impliqués dans la démarche.
Les entreprises et les organisations doivent s’ajuster au changement de paradigme qui voit le développement des produits, services et expériences migrer d’une approche centrée sur la firme - où le client est une cible - à une approche centrée sur le client - où le client est partenaire, où il cocrée avec la firme (Prahalad et Ramaswamy, 2004).
« Une entreprise n’a pas toutes les bonnes idées ». Cela implique que l’innovation peut survenir là où l’on ne l’attend pas. En ce sens, l’ouverture à l’innovation peut nécessiter ou provoquer un changement de culture important à l’intérieur d’une entreprise et d'une organisation. Mais comment collaborer plus efficacement ? Comment “cocréer” des idées, des innovations et de la valeur ?
« Nous expérimentons les outils et leviers de l'IO et de l'innovation portée par les usagers à travers notre pratique, alors que nos travaux de recherche nous permettent de porter un regard réflexif sur eux »
- David Guimont
DES PRATIQUES D’INNOVATION OUVERTE POUR IMPLIQUER LES USAGERS
Actuellement, le monde se met au diapason des préceptes de l’innovation ouverte, que ce soit sous la forme de collaborations accrues et augmentées ou soit de la présence accrue des usagers dans les recherches de solutions. Hub, Living Lab, Design Thinking, Fab Lab, Hackathon, Jam, Mix, ville intelligente, budget participatif, Makerspace, Change Lab, canevas du modèle d’affaires, coworking, tiers lieux, urbanisme participatif, autant de mots « tendance » qui définissent des processus, des démarches, des outils ou des modes de fonctionnement. Des mots qui restent flous pour une majorité, des expressions souvent galvaudées. C’est précisément à ces enjeux et cette nécessité d’explorer et d’expérimenter que le travail du LLio répond. Sa mission est d’ailleurs de faciliter l’adoption de pratiques d’innovation ouverte. Les pratiques d’innovation ouverte sont les attitudes, méthodologies, outils, principes, habiletés et infrastructures qui permettent d’innover collaborativement. Un lexique, produit par le LLio dans le cadre du Forum des innovations culturelles en 2018, donne la définition de plusieurs pratiques d’innovation ouverte. La présentation de trois pratiques d’innovation ouverte accompagnée d’exemples permettra d’illustrer notre propos. Les trois pratiques présentées : le laboratoire vivant, le Design Thinking et le Fab Lab.
L’approche Laboratoire vivant
En cocréant les solutions avec les usagers, on s’assure que ces solutions sont le plus adaptées possible, le plus acceptables pour le milieu et le plus facilement appropriées par les utilisateurs. Les laboratoires vivants (Living Labs) sont justement un type d’organisation et une méthode créée pour combiner ces expertises d’innovation ouverte et de cocréation afin de proposer des produits, services, procédés, systèmes ou expériences qui répondent réellement aux besoins des usagers ou à des problèmes organisationnels et sociaux complexes. Un laboratoire vivant se construit dans un écosystème territorial ou sectoriel d’innovation ouverte rassemblant des acteurs publics et privés, des institutions de recherche et de savoir ainsi que des usagers. On vise spécifiquement que l’usager soit le moteur de l’innovation. C’est aussi une organisation qui facilite la cocréation, dans des contextes réels en offrant un espace sécuritaire d’innovation, c’est-à-dire un espace qui permet aux usagers, avec les autres parties prenantes, d’exercer une véritable influence tout au long des projets d’innovation, et ce, de la conception de ceux-ci à leur déploiement. Il s’agit là d’une stratégie d’innovation qui place la cocréation, l’exploration, l’expérimentation et la validation avec les usagers et toutes les autres parties prenantes au cœur de son approche de recherche, de développement et de transfert.
Bien qu’à l’origine l’approche Living Lab était surtout utilisée pour impliquer les usagers dans des projets d’innovation technologique, elle est de plus en plus utilisée pour le développement de services, de politiques et d’innovation sociale. Par exemple, dans la MRC de Maria-Chapdelaine, les acteurs du développement régional et les restaurateurs des municipalités rurales ont lancé l’initiative Restos 2020 ; un laboratoire vivant sur la restauration. Par ce type de projet, il devient possible d’élaborer plusieurs stratégies de réflexion portant sur des enjeux sociétaux, permettant de faire émerger des forums, prenant la forme de Living Lab, et permettant d’identifier les besoins et de prototyper des solutions sous forme de nouveaux services et de nouveaux modèles d’affaires.
Le Design Thinking
Si l’approche Living Lab s’intéresse beaucoup à l’établissement d’un écosystème d’innovation ouverte aux valeurs et aux principes qui assureront la place de l’usager comme “moteur” dans le processus (innovation portée par l’usager), le Design Thinking est une méthodologie s’appliquant de manière plus spécifique dans les démarches de cocréation en offrant une place légèrement moins prépondérante à l’usager. On parle alors de processus d’innovation « centré » sur l’usager. Le Design Thinking (conception créative, pensée design) permet d’appliquer la créativité et l’innovation de manière systématique au sein d’une organisation en combinant l’empathie pour le contexte d’un problème, la créativité dans la génération des idées et des solutions et les compétences nécessaires pour matérialiser ces solutions par l’entremise du prototypage itératif. Le Design Thinking est souvent appliqué dans le domaine du design industriel, dont INÉDI, le centre collégial de transfert du Cégep de Lanaudière à Terrebonne, possède une excellente expertise dans ce domaine. Cette méthodologie se démocratise de plus en plus, tout comme l’approche du laboratoire vivant. Étant adaptée et appliquée aux différents contextes, tels dans le développement de services ou dans la résolution de problématiques sociales, cette méthode de création empathique ouvre sur une approche socio-inclusive et collaborative d’innovation. En effet, parce qu’elles sont impliquées tout au long de la démarche, les personnes concernées par ces innovations sont à même de construire avec les acteurs de l’écosystème IO des solutions qui répondent efficacement et précisément à leurs besoins. Également, dans les enjeux plus socio-environnementaux, l’acceptabilité sociale des propositions est un résultat et une partie intégrante du processus.
Le Design Thinking est utilisé, dans nos projets, pour prendre un recul créatif par rapport à un problème afin de bien le comprendre en impliquant les usagers pour ensuite générer des solutions potentielles qui seront rapidement prototypées, testées et bonifiées. Concrètement, le Design Thinking pourrait permettre de poser un diagnostic afin de faire émerger des solutions en matière d’attractivité et de rétention en impliquant des résidents et des non-résidents ; de développer un nouveau procédé interne en impliquant une équipe mixte de différents services d’une organisation ; de co-imaginer les usages d’un nouveau bâtiment communautaire dans une municipalité, etc.
Tiers lieux pour impliquer une communauté et pour accompagner le prototypage
Un Living Lab et le Design Thinking ne sont pas des lieux. En effet, afin d’assurer la magie de la cocréation, il faut disposer d’espaces pour que l’usager participe, s’y sente invité, à l’aise, voire qu’il s’y sente chez lui. Satisfaire ces critères n’est pas une mince affaire ! Il faut aussi que la cocréation qui s’y déroulera permette à tous les acteurs de s’y côtoyer sans distance hiérarchique ou sans se sentir intimidé par l’expertise des « experts ». Une bonne façon d’impliquer les usagers dans les démarches, en plus d’aller à leur rencontre dans leurs propres espaces, c’est de les impliquer bien en amont, par exemple, en proposant des tiers lieux qu’ils fréquenteront sur le long terme. Au LLio, nous avons mis en place un Fab Lab : un laboratoire communautaire de fabrication numérique. C’est un espace, muni de machines à commande numérique (imprimante 3D, découpeuse-graveuse laser, microcontrôleur, etc.) pour que la communauté (citoyens, travailleurs et étudiants) apprenne à faire tout (ou presque), soi-même avec les autres ! Un Fab Lab permet de disposer d’un espace inspirant et équipé pour le prototypage rapide et le prototypage plus élaboré, mais aussi d’avoir accès à une communauté de citoyens-bricoleurs (makers) très talentueux. Le LLio intègre déjà le Fab Lab dans les projets plus généraux de laboratoire vivant ou plus spécifique de design centré sur les personnes. Mais la vision d’une région qui fait encore plus d’innovation ouverte, on pourrait imaginer un Fab Lab dans chaque municipalité. D’ailleurs, avec des partenaires du Bas-Saint-Laurent, le LLio accompagne la mise en place du concept de Fab Région1 dans la région.
En plus de former des étudiants, des intervenants des PME et d’autres organisations, le LLio collabore avec les centres collégiaux de transfert (les Centres) membres de Synchronex afin de transmettre les outils et aptitudes liés à l’innovation ouverte et collaborative. Cette collaboration avec les Centres permet notamment au LLio de mettre en place un modèle d’intervention de l’amont (co-définition du problème, émergence collective d’idées) vers l’aval (prototypage et validation, précommercialisation), qui favorise l’innovation ouverte tant au sein de la communauté que chez les entreprises et les organisations.
« Pour changer la culture organisationnelle vers davantage de pratiques d'innovation ouverte ou collaborative, il y a quatre attitudes ou postures importantes à adopter : empathie pour l'usager et son contexte; collaboration radicale; systématiser la créativité; culture du prototypage »
- David Guimont
QUELQUES DÉFIS, QUELQUES CONDITIONS PRÉALABLES
Voulez-vous mettre en pratique l’innovation ouverte ? Avez-vous les conditions préalables pour trouver des solutions audacieuses, sortant du cadre, grâce à l’innovation ouverte ? En plus de maîtriser des postures et des processus d’innovation, votre organisation et votre personnel doivent avoir, au préalable, une bonne capacité d’innovation en mettant en place des bonnes pratiques ou des facteurs favorisant l’innovation. Pour mesurer votre capacité d’innovation en ressortant vos forces et vos freins dans vos pratiques, le LLio utilise l’outil diagnostic Synchrone conçu par Synchronex qui mesure 29 facteurs innovants classés dans 6 catégories de bonnes pratiques (stratégie, façons de faire, organisation, apprentissages, réseautage, ressources). De plus, le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MESI) a mis en ligne un outil diagnostique de votre niveau de maturité ou de préparation à appliquer l’innovation ouverte. Cet outil comprend 12 énoncés, qui se répondent rapidement, et génère un rapport en ligne qui ressort vos forces et freins en innovation ouverte, et ce, selon votre pointage obtenu dans quatre catégories de bonnes pratiques : stratégie ; climat d’innovation ; capacités collaboratives ; processus, ressources et compétences. En levant vos freins, vous pourrez alors tirer le meilleur parti des avantages de l’innovation ouverte !
«Au-delà des infrastructures et méthodologies à mettre en place pour faire émerger les capacités innovantes des personnes, des organisations et des territoires, il faut initier un changement de culture, notamment à ce qui a trait à l'intégration des postures suivantes : empathie pour l'usager et son contexte, créativité systématique, prototypage itératif et collaboration radicale »
- David Guimont
À PROPOS DU LLIO
Le Living Lab en innovation ouverte (LLio) est un centre collégial de transfert en pratiques sociales novatrices (CCT-PSN) intégré au Cégep de Rivière-du-Loup. Il est également reconnu comme Centre d’accès à la technologie (CAT). Reconnu comme CCT depuis juin 2018, il existe depuis 2012. En ce moment, 11 personnes travaillent dans l’équipe du LLio et dans la dernière année, une douzaine d’étudiants ont été impliqués dans les mandats et projets. Il fait de la recherche et intervient en innovation ouverte. Sa mission est de faciliter l’adoption de pratiques d’innovation ouverte principalement celles impliquant les usagers et les autres acteurs de l’écosystème d’innovation ouverte. Il s’agit d’un centre de recherche qui intervient en pratiques sociales novatrices, autant dans des contextes d’innovation sociale que technologique. L’approche du LLio est transversale et s’applique autant au domaine technique qu’aux domaines économique, social ou communautaire. Ce faisant, sa clientèle se compose d’entreprises d’autant de secteurs. Le LLio, comme intermédiaire à l’innovation ouverte, intervient de plusieurs façons : en offrant de la formation, par la recherche partenariale appliquée, en accompagnant des démarches de design centré sur les usagers ou en animant des évènements de sensibilisation à l’innovation ouverte et collaborative.
En connaître davantage sur Llio
LLio est l’un des 59 membres de Synchronex, le réseau des centres collégiaux de transfert (les Centres). Ces centres de recherche et d’innovation, affiliés aux cégeps et collèges du Québec, agissent dans tous les secteurs industriels ainsi que sur des enjeux sociaux allant de la santé à l’éducation en passant par l’agriculture, l’aérospatiale, le maritime, les technologies environnementales, le développement durable, les matériaux de pointe, l’intelligence artificielle, la productique, etc. Déployés à la grandeur du territoire Québec, les Centres travaillent annuellement avec 5 000 clients dans la réalisation de plus de 10 000 projets d’innovation technologique et sociale.
En connaître davantage sur Synchronex
Liste des publications du LLio : https://docs.google.com/document/d/1EUj-AKcg9egLRGlJuwPmNDK5lP9Bzap7YF7RxV_LgpE/edit?usp=sharing
Synthèse d’un exercice sur les pratiques d’innovation ouverte proposé par le LLio : http://culturenumeriqc.qcnum.com/guide-references/entreprendre/pratiques-et-leviers-dinnovation/